Michel nous raconte : polyphonies : la Sardaigne
juillet 4, 2021 2:27 pm ContactDeuxième étape de notre périple en pays pratiquant des musiques polyphoniques ancestrales : Le chant polyphonique des Sardes « cantu a tenore » (pastorale) et « cantu a cuncordu » (sacrée de confréries religieuses).
Inscrit depuis 2005 par l’UNESCO comme l’iso-polyphonie albanaise, et et les polyphonies géorgiennes, sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, ce chant très singulier, aux sonorités gutturales, est considéré comme l’expression la plus ancienne de la polyphonie occidentale « L’Ison », (bourdon, basse continue, tonique, variant par ailleurs), se retrouve dans le chant byzantin mais préexistait dans le Caucase, en Inde, au Tibet et chez les populations turco-mongoles de Sibérie
Comparons ces 2 types antiques européens de polyphonies à 4 voix.
Chez les albanais du pays Lab « Labëria » à la frontière Albanaise, le style le plus anciens « pleqërishte » ( ancien ou des « vieux » en langue shiptar) : Une des voix (hedhës) est soliste et chante à la tierce, mais, alors que dans les autres genres à quatre voix la hedhës a un rôle secondaire en chantant une tierce mineure au-dessus de la note principale, dans le pleqërishte elle soutient le premier soliste (marrës) et lui permet de prendre des pauses pour respirer5. Chaque exécution commence avec
1) une exposition du début du thème par le marrës
2) puis vient l’intervention du deuxième soliste (kthyes)
3) et enfin celle du hedhës. Après l’intervention de la hedhës,
4) le thème et les paroles du marrës sont reprises par le chœur avec différents types de variations
Chez les Sardes, Il est pratiqué par un groupe de quatre chanteurs au sein duquel chacun joue un rôle distinct.
A) La oche ou boche (voix) est la voix soliste qui chante un texte poétique. Elle est B)accompagnée par un tenore (chœur à 3 voix) formé par -la mesu boche (demi-voix), -la contra (contre) et -le bassu (basse). Ces trois voix se distinguent par la tonalité de plus en plus grave, et elles articulent des séquences de syllabes dépourvues de sens (par ex. bim-bam-bou).
Alors que la boche et la mesu boche chantent avec des voix normales, la contra et le bassu emploient une technique gutturale monopolisant le larynx et l’appareil phonateur.
Selon la tradition populaire, la mesu boche imite le son du vent, alors que la contra imite le cri de la brebis et le bassu celui de la vache.
Les textes exécutés par la oche peuvent être de genre épique, historique, satirique, de protestation ou d’amour.
quelques témoignages, remontant à l’époque préchrétienne, font référence à un mystérieux chant à quatre voix, exécuté par les prisonniers de Rome provenant des zones internes de l’île. Cependant, certains font remonter la naissance de ce chant jusqu’à la période nuragique, mais cela restait une simple hypothèse jusqu’à ce que une équipe d’archéologues danois découvrent des statuettes jouant des « launeddas » instruments à 3 ou 4 voix datant de 1800 avant J.C. et sensés copier et remplacer les voix humaines. Selon moi les références aux voix imitant des animaux (ici le contra imite la brebis et le bassu la vache) comme chez les Berbères maures (le méhari) et chez les Mongols, Sibériens (Yakoutes hennissements du cheval) et Tibétains (voix de Yak (« Dzo ») remontent à une époque de pratiques chamaniques donc pré hellénistique. N.B.les Nuraghi occupèrent l’ile autour de 1800 avant notre ère.
Différences régionales
Son exécution diffère d’un village à l’autre, de telle sorte que le style d’un certain village peut être reconnu d’emblée. Ainsi, par exemple, dans la zone de Orgosolo, Oliena, et Mamoiada, le chant est caractérisé par l’exécution de syllabes ouvertes (bim bam) et d’une voix basse sèche et ouverte ; au contraire, dans la zone de Bitti, la voix basse et les syllabes exécutées par le trio sont plus sombres, écluses et rondes (bom). Aujourd’hui on ne trouve que des groupes d’hommes, mais on garde la mémoire de groupes de femmes. Le canto a tenore devait être déjà pratiqué à l’époque des nuraghe vers 1800 av. J.-C.. Parmi les groupes les plus connus on peut citer les Tenores di Bitti, les Tenores de Orosei, les Tenores di Oniferi et les Tenores di Neoneli.
Les Sardes pratiquent également des polyphonies instrumentales 3 clarinettes antiques (ancêtres de la Zampogna (cornemuse, biniou, cabrette, « tulum » anatolien) existaient non seulement en Sardaigne mais en Espagne, Grèce, Sicile et dans les Iles britanniques comme le « Aulos » double clarinette présent sur les vases grecs, qui, selon Platon, serait l’agent causal des phénomènes de transe.. Dans toutes ces régions, elles ont été remplacées par des cornemuses plus commodes pour retenir le souffle continu que les joues des musiciens et ne survivent qu’en Sardaigne De plus le jeu de la guimbarde qui les accompagne, lors des danses, nécessite la variation de la cavité buccale et du larynx (à la manière du Contra et du Bassu sardes, des Maures et des Yacoutses et autres Sibériens turco-mongols) comme l’arc musical des populations de chasseurs du Bush sud-africain, Pigmées, etc, C’est pourquoi ces instruments sont habituellement utilisés par des populations nomades pratiquant la chasse et les transhumances pastorales. En effet, les imitations gutturales de cris des animaux avaient au moins 3 fonctions 1) fonction d’appeau pour attirer le gibier 2) fonction propitiatoire des rituels et danses avant la chasse 3) fonction cultuelle et identificatoire avec les animaux totémiques qui accompagnent le chamane dans son voyage dans un au-delà (monde des esprits, djinns, kami etc..) 4) fonction (à un stade socio-historique et symbolique plus avancé) de représentation théâtrales ou d’exhibition magique (monstration des masques et autres déguisements (têtes et peaux d’animaux) à l’origine des jeux de théâtres asiatiques et des transes collectives africaines
On voit donc comment se développe le lien entre l’arc du chasseur, devenu instrument musical nécessitant une caisse de résonnance gutturale et les voix de gorge continues ou saccadées.
Au niveau des répertoires des chants, La prédominance des récitatifs épiques en Sardaigne, en Sicile, en Albanie-Epire, Géorgie, en Ethiopie et en Anatolie est symptomatique de populations se réfugiant dans les montagnes pour fuir l’impôt et les législations d’états bureaucratiques dominateurs, générateurs de prédations et de corruptions (empire ottoman, royaumes d’Aragon, des Bourbons du Piémont) Les bandits « héroïques » tantôt protecteurs des paysans, tantôt prédateurs font respecter des codes « d’honneur » impliquant vendetta et bandes armées de type maffieux.