Kiran Ahluwalia – Malicieuses chansons d’amour

5:42 chronique

Le zuiderpershuis est un temple de la musique du monde avec une infrastructure clinquante, une salle à l’acoustique impeccable, des collaborateurs charmants et une programmation irréprochable mixant les musiques du monde entier, mêlant musiques typiques et fusions modernes. Mais ce n’est pas un haut lieu de la fête, il est assez rare d’y voir le public descendre de sa chaise afin de laisser son corps dialoguer avec les rythmes pourtant parfois propices des formations qui s’y présentent. La sacralisation de musiques, qui n’ont rien demandé de tel, est le danger qui guète la programmation de l’endroit. Il serait dommage de voir ces musiques se « muséifier » et mourir à petit feu à force de ne pas être partager complètement, par le corps et la tête, et ce, sur le simple critère de la différence culturelle. Il n’est pas interdit de danser la salsa (ou autre) même sans en connaitre les pas. La musique est une célébration sans frontière. Il n’est pas nécessaire d’en posséder toutes les clefs pour y participer.

Ce centre culturel pousse à présent le concept plus loin. Il propose des « world sessions« . En pratique cela signifie une « mise en contexte » avant de découvrir la musique proposée. Soit: un film d’introduction, une interview de l’artiste en direct – à laquelle le public est invité à participer, un concert (ouf, on est quand même venu pour ça!) et une session dj dans la cafétéria (hélas pas dans la salle, cet idée du dj au bar, au resto, à la cantine (comme dans ce lieu), au supermarché, chez le coiffeur, enfin, le dj décoratif, commence quand même à gonfler). Si, à priori, l’idée de ces sessions a de quoi séduire; au final, le concert est quand même noyé dans une « mise en condition » un peu pesante.

Kiran Ahluwalia

Et donc, Kiran Ahluwalia, une chanteuse dont on apprend le parcourt en vidéo, du Canada à l’Inde et vice versa, avec qui l’on tchatche durant un quart d’heure (et on attend presque avec anxiété l’interro en fin de soirée) apparaît un peu mise à nu à l’heure du concert. Enfin c’était quand même bon d’apprendre pourquoi, un accordéoniste portugais (amour du fado et similarité avec le ghazal) faisait partie de la formation. Par contre on aurait aimé savoir pourquoi un bassiste européen venait interférer avec ses gammes de blues pesantes dans cette affaire… Donc, en gros, le mystère est hélas vaguement défloré avant même l’ouverture du rideau.

Voilà notre dame: fille d’une famille indienne débarquée au Canada, éprise de la culture de la région de ses origines, travaillant 8h par jour afin d’en maitriser la musique, se produisant et enregistrant en dilettante, et enfin, rattrappée par le succès, adaptant son répertoire aux étroites oreilles occidentales. Le résultat est alors sous nos yeux, en chaire et en notes. De la pop nord-indienne acoustique. Le groupe est formé principalement du duo de compositeurs, elle et le guitariste – bonne bouille de musicien entre ragga, flamenco et blues, un sympa et charismatique joueur de tabla doué d’un sens peu commun du rythme sophistiqué, du précité bassiste complètement hors contexte (ça valait bien la peine de nous infliger une « mise en contexte »!) et donc de l’accordéoniste fadista qui lui semblait entrer de plein pied dans le trip (il faut dire que ce n’était pas là sa première collaboration avec la dame).

Le Ghazal est, si j’ai bien compris, un style de malicieuse chanson d’amour du Penjab. Malice qu’on a ici du mal à associer au pathos des chanteurs de charme. Malice, en tout cas, bien rendue par Kiran Ahluwalia qui ne se prive pas de présenter chaque titre avec détachement et ironie pour notre plus grande joie (ah oui les femmes de cette région sont comme ça alors? Intrigantes et opportunistes) et notre grand dam (ah bon, ça n’existe que dans les films de Bollywood?). Malicieuse, ou immorale à l’aulne des préceptes du politiquement correct occidental, ou délivrant alors une morale vivifiante; retenez ça par exemple celle-ci: « Prenez garde à tailler les branches de vos désirs, afin que l’arbre de votre vie n’en ploie pas sous son propre poids ».

Musicalement on ne s’ennuie pas de cette pop portée par une formation peu conforme: tabla, guitare acoustique, accordéon et voix ouvragée, limite rococo – une chanteuse mature malgré sa voix d’éternelle nymphette. Certains titres plus portés à la gaudriole auraient pu nous faire bondir de nos chaises (si seulement le contexte nous y aidait un peu). Quelques improvisations où l’on respire, quelques solis où l’on suffoque de plaisir, un workshop avorté de chant penjabi ponctuent cette performance convaincante même si un peu pédagogique (ah ce fameux contexte qui ne nous lache plus maintenant!). On peut comprendre que le public demande un rappel, mais on peut aussi déplorer la chanson de trop. Celle qui sera la friandise de trop et finira par nous écœurer. On l’oublie vite et ne retient que cette mixture douce-heureuse où amours et intrigues s’équilibrent dans un monde bollywoodien allégé et raffiné.

Hubdidub

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