« Vous avez dit Tabasco, comme la sauce» ?
avril 11, 2020 6:49 Contact« Vous avez dit Tabasco, comme la sauce» ?
Vivant au Chiapas et passant souvent à Palenque, je me devais de connaître un peu mieux nos proches voisins, dont le nom a été rendu populaire par une marque de sauce, et dont un des dictons est que «Tabasco est l’Eden ». L’idée était donc de sonder cette image d’Epinal, d’essayer de comprendre son origine et d’en profiter pour satisfaire ma curiosité par rapport à ce qui est une Aire Naturelle Protégée de grande importance : les « Pantanos de Centla », 300000 hectares de marais, situés entre l’État du Tabasco et celui de Campeche voisin.
Au vu d’un dépliant glané lors d’un passage précédent dans les parages je décide de quitter Villahermosa, la capitale, pour « Frontera », une ville dont je me rappelais qu’elle avait été une des premières villes a être fondée par les espagnols au Tabasco. C’est d’ailleurs à Centla qu’a eu lieu la première bataille gagnée par les espagnols. C’était en 1519, un petit nombre d’espagnols affrontèrent un nombre plus important d’indigènes Chontales. Ce fut, (selon Luis Barjau, chercheur à l’I.N.A.H) le premier chapitre formel de la conquête.
Arrivée à Frontera. Direction les « Pantanos »: on démarre en trombe dans un petit bus, colectivo, avec un jeune qui conduit à fond, avec la musique (à fond aussi) et fait la route qui mène à Jonuta, plus au sud. Le long de la route, de l’eau, et des pêcheurs, affairés autour de leurs filets. Arrivé sur place, en bordure d’un grand fleuve, je suis le seul : on n’est pas en saison. Je me décide à embarquer avec Gerardo, sur el « Chimay » (biche en langage indigène chontal).
On se retrouve dans des canaux d’eau, et à un moment, en concurrence avec un autre canot, je me crois dans les Everglades, comme dans un film de James Bond. On croise des maisons de pêcheurs et je retrouve les mangroves, si caractéristiques des pays tropicaux, comme au Nordeste du Brésil, où j’ai jadis séjourné. Gerardo me rappelle leur intérêt écologique: outre le fait qu’elles peuvent amortir les crues de la mer, beaucoup de poissons se reproduisent dans leurs racines à l’abri des oiseaux. Gerardo me confie: « je « mastique » un peu le chontal… ». Il n’est pas très bavard mais répond à toutes mes questions sur la faune avec précision, et il en rajoute même sur la flore: j’apprends que la « palme ronde » -dont on fait les toits de maisons- ne doit pas être coupée pendant la pleine lune car c’est le moment où la sève est dans toute la plante (et donc elle met plus de temps à sécher).
Coté oiseaux (un des buts de la visite) il y en a, bien sur, mais la majorité sont connus, pas de découverte véritable, à part peut-être le « carga huesos », une sorte d’aigle (aussi appelé « Caracara ») assez proche par sa silhouette et sa taille, des vautours qu’on voit partout mais dont la particularité est -selon Gerardo- qu’il lâche ses proies de haut, pour mieux en casser les os. A part lui, nombre hérons « verts », gris, bleus, nocturnes-à col clair, la jacana, des iguanes, très oranges (selon Gerardo c’est leur période de reproduction et le mâle prend cette couleur pour se mettre en valeur) et des crocodiles de l’espèce Moreleti.
Puis, on visite le 3 brazos, ou lieu où se rejoignent trois fleuves, ou trois « bras », et Gerardo m’éclaire sur les noms : hormis les deux connus, (Usumacinta et Grijalva) le troisième est appelé « San Pedro », mais était anciennement appelé « deposito », (dépôt) car, étant le seul à ne pas être envahi par l’eau salée c’était celui que les exploitants de bois utilisaient pour amener les troncs de bois précieux, comme l’acajou, vers le golfe du Mexique. Cela a d’ailleurs valu à la ville de Frontera de devenir importante à la fin du XIXème siècle.
De retour en ville, je fais un arrêt pour me sustenter à la « Fonda Mary », dans le marché, avec vue en terrasse sur le port et un superbe coucher de soleil sur le fleuve. Cela complète et termine cette première journée très réussie. Le lendemain, changement de décor prévu et départ en direction du site archéologique et de la ville de Comalcalco, (réputée pour son cacao) en imaginant un petit arrêt plage à Paraiso (paradis). A la sortie différentes peintures rappellent les soubresauts de l’histoire de la région, dont cet épisode marquant, celui de l’arrivée des espagnols. Je craque pour l’une d’elles
8h45, montée à l’arrache dans un de ces bus, qui s’arrêtent à peine quand il s’agit d’embarquer quelqu’un (encore un clin d’œil vers le Brésil) et dans lequel le chauffeur me baragouine quelque chose quand je veux le payer, à n’y rien comprendre (là pour le coup on est dépaysé…). Fenêtres ouvertes bien sûr et quand il s’arrête dans les villages et que de vrais gens, des femmes, des mamy avec leurs petits-enfants, montent, on se sent en prise avec la réalité. Tout le contraire du voyage de la veille, en direction de Frontera, dans un bus de la compagnie ADO, où c’est tout juste si on voyait quelque chose -par les fenêtres, et même à l’intérieur- les gens ne s’étant même pas donné la peine d’ouvrir les rideaux.
Le trajet passe vite et, vers la fin, la route est bordée par de nombreux restaurants, de fruit de mer mais on ne voit que le fleuve. Il s’agit du lieu-dit « Chiltepec ». Je continue néanmoins mais regretterai de ne m’être pas arrêté là. Là où j’atterrirais enfin, la plage, située aussi à 15 min du centre mais dans une autre direction ne valait pas un peso. Le chauffeur m’avait pourtant prévenu, en forme de boutade peut-être, car à ma question « comment est la plage ? » il m’a répondu…« mouillée ». Par ailleurs le fait que l’hôpital, aperçu à l’entrée du bourg, était sponsorisé par Pemex (principale compagnie pétrolière) aurait pu me mettre la puce à l’oreille.
La réalité est que, pour arriver à cette plage il fallu passer à côté de différents chantiers, et remarquer, ici et là sortant du sol, des tiges jaunes avec écrit dessus « danger, tubes à haute pression ». Et que quand on trouve enfin l’accès et qu’on découvre la mer, 3 ou 4 plates-formes pétrolières en ornent la surface à différents points. Un paradis ? Peut-être, pour les rois du pétrole, mais pas pour les plaisanciers. Et c’est pourtant le long de cette route que je tombe sur cet écriteau : « bienvenue au Tabasco, terre de l’Eden ». Il y a au Mexique une dose de surréalisme qui n’avait pas échappé à André Breton. Quand au Tabasco il y a lieu de se demander ce qu’il reste de la vision idyllique propagée par Pepe del Rivero dans les années 60 avec sa chanson « A Tabasco » et qui a été relayée de moultes façons. Sans parler des conséquences qu’a provoquée l’immiscion, après les années 2000, de membres des cartels dans cet Etat riche de par son pétrole et qui plus est situé à un carrefour.
Il faudra toute la sympathie d’Alberto, émigré originaire de Veracruz et vendeur de pozol pour me remettre de ces quelques pas dans cet Eden aveuglé par l’or noir. Mais au fond le Tabasco reflète sans doute assez bien les contradictions d’un pays qui cherche à se développer tout en préservant ses ressources naturelles.
Aymeric Lehembre
Rafael :
Date: mai 9, 2020 @ 20:13
Merci Aymeric pour ce témoignage de Tabasco une région dans laquelle j’ai habité pendant mon enfance avant de venir au Chiapas. En effet c’est quand même très inquiétant le processus qui à fait que Tabasco d’être un paradis soi devenu presque un enfer. Ce dont Victor Toledo quand il parle du sud-est mexicain dit “la destruction du paradis’. Jan de Vos un compatriote à toi a aussi documenté, comme tu sais bien, ce processus.
C’est vrai aussi qu’il y a encore dans la région des choses merveilleuses à visiter tu parles de quelques unes. Moi par exemple j’étais fasciné quand j’ai eu connaissance, grâce a Gomez Pompa, de l’expérience préhispanique des chinampas tropicales, un système très soutenable écologiquement.
Peut être aussi on pourrai chercher quelques informations intéressantes, vis à vis de cette métaphore entre le paradis et l’enfer, chez Graham Green dans son livre The power and the glory (La puissance et la gloire).
Félicitation pour ta chronique du paradis/enfer qu’est Tabasco.
Rafael