Tenosique et son carnaval-De générations en générations
mai 9, 2020 1:50 ContactOutre le fait que Tenosique est une ville d’une partie un peu enclavée du Tabasco, entre le Chiapas, Campeche, et le Guatemala, Tenosique est située sur le fleuve Usumacinta, et fut jadis un point important du commerce et du transport du bois. Dernièrement, c’est son carnaval qui l’a rendue plus spéciale. C’est cet aspect qui nous y amène en ce dimanche 23 février, et l’espérance de le voir, avant le mercredi des cendres. Le carnaval est fêté de deux manières, traditionnelle, avec la danse du « pocho », et plus moderne via une parade dans l’artère principale.
Après une arrivée en pleine parade, et mon installation dans un hôtel, je flâne sur la place principale déjà bien remplie de monde, mais où les artistes se font désirer. En attendant, deux mexicaines sur la plus petite des deux scènes tiennent la foule en haleine, tout en faisant des pas de salsa… « et où sont-ils, les honduriens, de Tenosique ??» « vive les honduriens de Tenosique… !» (Tenosique est connu pour être un important lieu de passage des migrants d’Amérique Centrale). Et puis encore : «savez-vous que le groupe qu’on attend vient de Comalcalco ? la perle de la Chontalpa »…tout ça est bien « caliente », mais les réactions du public sont un peu molles, pour l’instant. Je m’avale donc quelques tacos sur fond de décibels et profite de la proximité d’une famille installée à côté pour me renseigner sur les dates des événements : j’ai la chance de faire connaissance avec un local, Emmanuel Moctezuma. Il me donne avec enthousiasme diverses infos sur le carnaval et la région, me confirme que le dernier jour de la danse du pocho sera mardi, (après la pause de demain) c’est donc jouable!
Après une nuit bien régénérante, mon premier objectif de ce lundi sera le marché. Manger, et qui sait, faire quelques contacts dans les « fondas ». Une table où sont installés différents petits groupes m’attire et j’y apporte mon brin de convivialité en partageant avec les autres -dans le genre « apéritif »- un fromage que je viens d’acheter. La voisine me donne quelques galettes de pozol (une trouvaille encore inconnue) qui vont parfaitement avec ce fromage. le « caldo de robalo con camarones » (soupe de poisson avec des crevettes) est aussi bon, et bien servi par un patron très sympathique.
Au cours des diverses conversations échangées j’apprends que pour se baigner dans le fleuve, l’autre rive est plus adaptée. Je décide donc d’y aller et fait la traversée via une navette. L’eau est presque tiède, mais relaxante ; c’est peu profond, et il y a, contrairement à ce qu’on m’avait dit, très peu de courant, du moins sur les bords. J’effectue le trajet du retour avec de jeunes gars qui sont allés chercher divers types de feuilles pour préparer leurs costumes du lendemain. Comme me l’a commenté Emmanuel, «à Tenosique tout le monde peut se déguiser et participer à la danse du pocho». Et comme pour étayer cela, le petit ami de la fille du patron du restaurant, d’origine hondurienne, m’a lui aussi spontanément montré une photo de lui déguisé, lors de sa dernière participation.
On est maintenant mardi 7h00, et j’attends -avec impatience- Miguel, (un contact qu’Emmanuel m’a passé) pour assister et participer comme je pourrai à la préparation des costumes et à l’échauffement du groupe qui fonctionne via l’association «Identité de mon peuple ». Les participants arrivent petit à petit, de tous âges et styles, et je comprends que Miguel -aussi surnommé « le grand tigre » (« El tigre mayor »)- me laisse carte blanche, pour « butiner » à ma guise, dans ce jardin peuplé d’humains se transformant en créatures fantastiques. Trois types de personnages émergent, ici et là: les pochomeras, joués par les femmes, les cojoes, par les hommes, et les jaguars, qui peuvent être masculins ou féminins.
Jesus a la vingtaine, et on sympathise rapidement : «cela faisait à peine 23 jours que j’étais né, et voilà que mon papa m’a emmené à la danse du Pocho, il m’a porté dans ses bras au milieu des cojoes qui dansaient»… « j’ai fait la même chose avec mon fils fraîchement né, il y a peu », me confie-t-il. Il met l’accent sur l’importance de chercher une manière «comme il faut» de s’habiller et de « jouer » le cojo -j’apprécie ce regard respectueux qu’il porte sur ses traditions et l’importance qu’il donne à sa culture, son identité. Il me demande de photographier les divers éléments de sa parure de cojo, et je m’exécute : il y a le masque, en bois, le chapeau, le shikish, (bâton rempli de petites graines qu’on secoue pour faire du bruit) et la sorte de robe faite de feuilles. Pendant les deux heures que je passerai là, dans ce jardin, je sentirai la tranquillité des habitants de ce lieu, l’aspect convivial de cet événement (on se cotise pour acheter des bières) et la frénésie du moment où les acteurs se mettent à faire vivre leurs costumes et s’élancent à travers la ville.
Du côté des participantes féminines, j’aurai la chance d’échanger un peu avec Oceany, la fille de Miguel. Se déguiser en tigre, comme son papa, c’est son truc, à elle, et elle le fait depuis 20 ans. Elle est un peu moins optimiste sur l’avenir de cette tradition et vit mal la distance que des amis d’enfance ont montré vis à vis d’elle : « c’était très différent avant, il y avait un sentiment de communauté, et maintenant plus, et c’est très triste, que ça change autant. Voir que les amis avec lesquels j’ai grandi, ceux du quartier, on ne se parle presque plus, il y a d’autres intérêts, politiques et autres et c’est moche. Pourquoi les gens ne comprennent-ils pas que c’est à nous tous, cette chose ? »
Aymeric Lehembre
Anabelle :
Date: mai 9, 2020 @ 7:54
Merci pour ces belles chroniques qui nous font voyager, dans un temps ou on est confinés chez soi !!
Elsa Samperio :
Date: mai 9, 2020 @ 18:34
Bien original article d’un lieu peu connu et pas du tout touristique du Mexique.
Christian :
Date: mai 14, 2020 @ 15:42
Merci Aymeric pour ce reportage très vivant et coloré, tourné vers de belles traditions.
Cela nous change en effet de l’atmosphère confinée dans laquelle nous vivons, même si nous en sortons tout doucement.
Christian